La saisine de la Cour de renvoi après cassation
La saisine de la Cour de renvoi après le prononcé d’un arrêt de cassation est susceptible de faire naître pour le juriste bien des interrogations.
Pendant de nombreuses années, l’apanage de cette saisine était dévolue aux seuls Avoués à la Cour, hors les matières sans représentation obligatoire où la procédure était allégée et menée par le greffe de la Cour de renvoi. Cette saisine reste d’ailleurs essentiellement encore souvent une affaire de spécialistes de la procédure.
Le décret du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile (D. n° 2017-891, 6 mai 2017, JO 10 mai) a modifié bien des règles jusque-là encore applicables aux Cours d’appel, et justement les règles relatives à la saisine de la juridiction de renvoi après cassation.
Comme la circulaire du 4 août 2017 de présentation des dispositions du décret l’indique, le législateur prétend avoir voulu une « rationalisation de la procédure sur renvoi après cassation notamment par une réduction du délai pour saisir la juridiction de renvoi et par l’instauration de délais d’échange des conclusions devant la cour d’appel de renvoi » (Cf. circulaire ministérielle 4 août 2017 NOR : JUSC1721995C, BOMJ n° 2017-08, 31 août). Cette circulaire laudative ne présente cependant qu’un caractère informatif, et reste bien insuffisante pour apprécier dans leur totalité les règles applicables, figurant notamment aux articles 626 et suivants du Code de procédure civile et L. 431-4 du Code de l’organisation judiciaire.
Le décret du 6 mai précité comporte bien des zones d’incertitudes que le praticien doit défricher sous le contrôle de la Cour de cassation.
Au premier chef des modifications apportées par le décret de 2017, le délai de saisine de la juridiction de renvoi a été réduit à deux mois après la signification de l’arrêt de cassation, au lieu des quatre mois précédemment laissés aux parties. Deux mois c’est toujours ‘ça de gagné’, mais cela ne modifie pas vraiment la donne au regard du délai moyen de traitement du contentieux, étant observé de surcroît que la procédure sur renvoi ne constitue qu’une étape supplémentaire après un déjà très long chemin procédural et différentes instances successives.
De plus, existent désormais des délais impératifs d’échanges des conclusions imposés aux parties, alors qu’auparavant, l’instruction du litige était soumise aux pouvoirs d’injonction du conseiller de la mise en état.
En résumé, les formes et délais applicables précédemment n’ont plus cours pour les instances sur renvoi introduites à compter du 1er septembre 2017.
En outre, la communication électronique par E-barreau est obligatoire dans les litiges sur renvoi de cassation avec représentation obligatoires. Ainsi, les dispositions de l’article 930-1 du Code de procédure civile sont pleinement applicables, et ce à peine d’irrecevabilité (cf. Cass. 2e civ. 1er déc. 2016 pourvoi n° 15-25.972).
Le défaut de saisine régulière de la cour d’appel, sanctionné par l’article 930-1 du Code de procédure civile, constitue même une fin de non-recevoir, et non pas un vice de forme ou de fond de l’acte de saisine.
Cela induit que les dispositions de l’article 2241 du Code civil ne sont pas applicables et que la seconde saisine formée est susceptible d’être jugée irrecevable comme tardive (Cf. Cass. 2e civ. 1er juin 2017 pourvoi n° 16-15.568).
La juridiction de renvoi doit être saisie par déclaration au greffe de cette juridiction et non par une autre forme, notamment pas par voie d'assignation (cf. Cass. com. 25 janv. 1984 pourvoi n° 82-12658).
L’article 1032 du code de procédure civile énonce à cet égard en son premier alinéa que « La juridiction de renvoi est saisie par déclaration au greffe de cette juridiction. » et l’article 1033 du même code ajoute que « La déclaration contient les mentions exigées pour l'acte introductif d'instance devant cette juridiction ; une copie de l'arrêt de cassation y est annexée. ».
Par conséquent, si l’arrêt de cassation emporte un renvoi vers une cour d’appel désignée, ce renvoi n’entraine pas ipso jure la saisine d’office de cette cour de renvoi. Il appartient bel et bien aux parties qui y ont intérêt, et ce en fonction de la portée de la cassation prononcée, de confectionner un acte formel de saisine.
L’instruction sera ensuite reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation, en vertu de l’article 631 du code de procédure civile, ce qui n’induit toutefois pas que celles-ci doivent se montrer inertes puisqu’il leur appartient de conclure dans les délais prévus en tirant les effets de la cassation prononcées quant au débat.
L’acte de saisine de la cour de renvoi exigée de la partie saisissante doit respecter les règles propres à l’appel dans la matière concernée. Il s’agit donc d’une déclaration réalisée par les voies d’E-barreau dans les matières avec ou sans représentation obligatoire.
A cet égard, l’arrêté du 20 mai 2020 (JORF n° 0124 du 21 mai 2020) a abrogé les précédents arrêtés du 5 mai 2010 sur la communication électronique en procédure sans représentation obligatoire et du 30 mars 2011 dans les procédures avec représentation obligatoire, pour ne créer qu’un seul arrêté pour les procédures avec et sans représentation obligatoire. Et l’article 2 de l’arrêté précité précise bien la possibilité désormais du recours à la voie électronique pour les actes d’appels dans les matières sans représentation obligatoire.
A l’instar des autres actes introductifs d’instance, la déclaration de saisine doit comporter la désignation exacte et complète des parties à l’instance.
En vertu des dispositions de l’article 114 du code de procédure civile, la méconnaissance de cette disposition ne peut être sanctionnée que si elle cause grief à la partie adverse.
Par voie de conséquence, si par malheur la déclaration de saisine ne comporte pas les mentions exigées, mais que les mentions manquantes figurent sur d’autres documents dont elle est accompagnée et que la teneur de l'acte de signification de l'arrêt de renvoi, joint le cas échéant à la déclaration, exclut toute ambiguïté quant à la détermination des parties ayant saisi la juridiction de renvoi, la partie adverse, à défaut de justifier d'un grief, n'est pas fondée à se prévaloir de l'irrégularité de l'acte de saisine (cf. notamment Cass. soc. 20 févr. 1991 pourvoi n° 87-41.016). Cependant, malgré l’information fournie a posteriori le grief peut tout de même subsister (cf. Civ. 2ème 4 mars 2021 pourvoi 19-13344).
En outre, en cas d’erreur sur les mentions de la déclaration de saisine, la Cour de cassation a jugé que la régularité et la recevabilité de la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi s'apprécient au seul regard des articles 1032 et 1037 du Code de procédure civile, au moment de cette saisine et en fonction de la situation des parties à cette date.
Il a été ainsi jugé que la cour d'appel, qui n'a pas recherché, alors qu'elle constatait qu’une association était représentée par son administrateur provisoire lors de la formation du pourvoi devant la Cour de cassation, quelle était sa situation à la date de la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi, a violé les articles 1032 à 1037 du Code de procédure civile (cf. Cass. 2e civ. 28 juin 2018 pourvoi n° 17-17.220).
Secundo, c’est également par un jeu de renvoi de textes qu’il faut lire l’article 1032 du code de procédure civile.
La déclaration de saisine doit contenir les mentions exigées pour l’acte introductif devant la juridiction d’appel, ainsi qu’une copie de l’arrêt rendu par la cour de cassation (au format PDF en cas de transmission par le RPVA).
Par renvoi aux dispositions des articles 901 ou 933 du Code de procédure civile, l’appelant ou la partie saisissant la cour de renvoi doit-il désormais délimiter la saisine de la juridiction, comme l’appelant son appel ? De la réponse positive à cette interrogation pourrait alors découler une limite à l’effet dévolutif, lequel ne serait susceptible de ne jouer que dans les limites de la déclaration, sauf demande d’annulation du jugement ou cas d’indivisibilité du litige.
La Cour de cassation s’est toutefois prononcée en sens contraire le 14 janvier 2021 (pourvoi n°19-14293) quant à l’obligation de viser les chefs du jugement attaqués dans l’acte de saisine et sur les conséquences d’un tel manquement. Pour la Cour de cassation et selon ce dernier arrêt, Il n'existe pas une similitude entre les formes de la déclaration de saisine de la cour de renvoi et celles de la déclaration d’appel.
La Cour de cassation précise d’ailleurs à cette occasion que la déclaration de saisine n'est pas un acte d’appel et que, par voie de conséquence, elle ne peut avoir pour effet de limiter l'étendue de la saisine de la Cour de renvoi.
La question de l’effet dévolutif de l’appel devant la Cour de renvoi ne semble donc plus devoir alors qu’être interprétée au vu de la saisine de la Cour Appel cassée par la Cour de cassation et au regard de la déclaration d’appel initiale.
Mais, la Cour de cassation ne laisse-t-elle toutefois pas ouverte la possibilité aux parties de soulever une nullité de forme de la déclaration de saisine qui serait imprécise, à charge pour celui qui l’invoque de convaincre d’un grief qu’il subirait du fait du manquement constaté, manquement qui pourrait être éventuellement tiré de la fragilisation de sa position d’intimé devant la Cour qui ne connaîtrait que tardivement l’objet exact de la saisine de la Cour de renvoi ?
Si la Cour de cassation nous déclare que la déclaration de saisine n’est pas une déclaration d’appel, c’est seulement en effet pour en tirer la conséquence que le défaut de visa des chefs du jugement attaqué ne paralyse pas l’effet dévolutif, lequel a déjà joué sur le premier appel formé qui fut cassé. Elle n’écarte pas que le manquement à l’obligation de viser les chefs du jugement attaquée dans l’acte de saisine puisse constituer une cause de nullité de l’acte, ce qui au demeurant semble découler du texte même de l’article 1033 et du renvoi aux formes de l’article 901 et subséquemment 58 du code de procédure civile.
L’irrecevabilité de la déclaration de saisine rendrait-elle alors irrecevable toute nouvelle déclaration de saisine tendant à déférer à la cour d’appel de renvoi, la connaissance du jugement de première instance, et, ce, peu important que le délai prévu à l’article 1034 du Code de procédure civile n’ait pas expiré ?
Il a été en effet jugé que l’irrecevabilité de la déclaration de saisine confère force de chose jugée au jugement de première instance, lorsque la décision cassée a été prononcée sur appel de ce jugement, rendant irrecevable toute nouvelle déclaration de saisine tendant à déférer à la cour d'appel la connaissance de ce jugement (cf. Cass. 2e civ. 19 oct. 2017 pourvoi n° 16-24.269).
Il faut déduire de cet arrêt du 19 octobre 2017 que si une nouvelle saisine permettrait de rectifier une erreur commise dans un acte de saisine précédent, il conviendrait toutefois de ne pas attendre la décision statuant sur l’irrecevabilité du premier acte pour procéder à cette saisine « rectificative ».
Plus encore, par rapprochement avec les dispositions de l’arrêt rendu par la 2ème chambre civile le 30 janvier 2020 (pourvoi n°18-22.528), la déclaration de saisine affectée de ce vice de forme pourrait être régularisée par une nouvelle déclaration. Mais contrairement à cet arrêt, cette régularisation doit intervenir avant le délai imparti à l’appelant pour conclure au fond et avant même le délai de saisine de deux mois prévu à l’article 1031.
Il existe en l’espèce, et en l’état, une zone d’appréciation floue que la Cour de cassation a comblé pour permettre aux parties de corriger leur manquement selon un arrêt du 4 mars 2021 (pourvoi n°19-13.444) dans lequel elle énonce d’une part, que « la déclaration de saisine (…), qui a pour objet d'assurer la poursuite de la procédure antérieure régie par les dispositions des articles 1032 et suivants du code de procédure civile, ne constitue pas une demande en justice au sens de l'article 2241 alinéa 1er du code civil » et, d’autre part, « que la déclaration de saisine annulée n'interrompt pas le délai de forclusion de deux mois prévu à l'article 1034 alinéa 1er du code de procédure civile pour saisir la juridiction de renvoi. »
Aux termes de cet arrêt, la Cour de cassation juge que la partie était bel et bien irrecevable à procéder à une seconde saisine de la Cour de renvoi postérieurement au délai de deux mois de l’article 1032 du code de procédure civile.
Enfin, il sera rappelé que la régularité de l’acte de saisine initial de la cour de renvoi s’apprécie au moment de cette saisine en fonction de la situation des parties à la date de cet acte.
Ainsi, il a été jugé que l’intervention forcée d’une société de ‘BTP’ dans l'instance de renvoi après cassation plus de quatre mois après la notification de l'arrêt de la Cour de cassation ne pouvait couvrir l'irrégularité de la saisine de la cour d'appel de renvoi pour défaut de qualité de la société saisissante (cf. Cass. com. 26 févr. 2013 pourvoi n° 12-14.998).
Force est de constater que des questions autour de la saisine après cassation de la Cour de renvoi restent non encore solutionnées clairement, tandis qu’elles font peser sur l’auteur de la saisine un degré d’incertitude certain.
Par Maître A. Devauchelle
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