« Guérir, parfois … Soulager, souvent… Accompagner toujours. »
« Guérir, parfois … Soulager, souvent… Accompagner toujours. »
Ce serment d’Hippocrate qui résume en quelques mots le rôle du médecin est empreint d’une humilité qui force à réfléchir sur les contours de l’intervention du professionnel de santé qui avec ses connaissances acquises doit faire face à des situations humaines terribles qui vont au-delà des concepts scientifiques et qui peuvent difficilement être totalement encadrées par des textes de lois.
Si la loi Léonetti a permis aux médecins de pouvoir abréger les souffrances de leurs patients dans le respect de certaines conditions préalables, certains la jugent insuffisante et souhaiterait que la France adopte une législation se rapprochant de celles de la Belgique, de la Suisse, Pays-Bas, et Luxembourg notamment où l’euthanasie active est possible.
Actuellement en France les textes sont clairs :
« Il (le médecin) n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort »
(article 38 du Code de Déontologie médicale - article R 4127-39 du Code de la Santé Publique)
« …Soulager, souvent… mais jusqu’où ? …. Accompagner toujours….." mais jusqu’où ?
Ces questions sont d’une actualité brûlante entre l’affaire Nicolas BONNEMAISON, urgentiste de 53 ans qui comparait actuellement devant la Cour d’assise des Pyrénées-Atlantiques, accusé d’avoir attenté à la vie de sept patients par l’emploi de « substances de nature à entraîner la mort », et qui risque la réclusion criminelle à perpétuité et l’affaire Vincent LAMBERT dont le sort est suspendu à un parcours juridique qui continue la semaine prochaine devant le Conseil d’Etat
L’affaire Vincent LAMBERT et la législation actuelle
Le débat sur l’arrêt des soins qui intéresse actuellement non seulement les médecins et les juristes mais tout concitoyen tant le sujet est sensible et universel revient en effet devant la plus haute juridiction administrative qui examinera à cette date "le cas" de Vincent Lambert en audience publique
Il faut rappeler que M. Vincent Lambert, infirmier âgé de 38 ans, a été victime, le 29 septembre 2008, d’un accident de la route et a subi un traumatisme crânien.
Il est tétraplégique avec lésions cérébrales graves et se trouve dans un état pauci-relationnel. (état d’une personne qui présente des réactions comportementales minimales mais précises, lesquelles semblent témoigner de la conscience que le patient a de lui-même ou de l’environnement.)
En 2012 l’équipe médicale de centre hospitalier universitaire de Reims croit devoir interpréter certains signes comportementaux manifestés par M. Lambert comme des refus de soins et s’interroge alors sur les suites à y donner.
Que pouvait faire l’équipe médicale en strict respect des textes en vigueur ?
S’il résulte des articles 3 et 6 de la loi Léonetti que « le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix » et que « lorsqu'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, décide de limiter ou d'arrêter tout traitement, le médecin respecte sa volonté après l'avoir informée des conséquences de son choix. …», encore faut-il que le patient soit capable de manifester sa volonté.
Précisément déjà sur ce point les avis peuvent diverger.
En effet, contrairement à ce que l’équipe médicale a exprimé en 2002, il semble être retenu maintenant que les manifestations du patient évoquées ne pouvaient être de façon certaine interprétées comme une volonté de refus de soin.
Que faire quand le patient ne peut plus exprimer sa volonté ?
La loi Leonetti a prévu des modalités pour que la volonté de ces patients qui ne peuvent plus l’exprimer après un accident soit malgré tout prise en compte, à condition qu’ils aient effectués certaines démarches préalables.
1/ Les directives anticipées
La première hypothèse est celle dans laquelle la personne a rédigé « des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté ».
Certaines conditions doivent cependant être remplies pour que ces directives qui « indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt du traitement » puissent être respectées.
Elles doivent avoir été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la personne.
Elles doivent être établies par écrit, sur des documents datés et signés par leur auteur dûment identifié par l’indication de ses noms, prénoms, date et lieu de naissance.
2/ La personne de confiance
A défaut d’avoir rédigé des directives anticipées, le malade privé de sa conscience a pu antérieurement désigner une personne de confiance, désignation qui doit également être faite par écrit, et dont l’avis « sauf urgence ou impossibilité, prévaut sur tout autre avis non médical …dans les décisions…prises par le médecin."
3/ la procédure collégiale
Ces précautions prises par une personne désireuse de faire valoir sa volonté dans l’hypothèse où elle ne pourrait plus l’exprimer sont très importantes pour la prise de décision par l’équipe médicale.
Les éventuelles directives anticipées ou la personne de confiance si elle a été désignée, doivent impérativement être consultés par le médecin qui envisage de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, et la décision finale qui sera prise au terme d’une procédure collégiale en tiendra compte.
Cette procédure collégiale (issue de la loi Leonetti) est définie à l’article 37 du Code de déontologie médicale en ces termes :
« I- En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement.
Il doit s’abstenir de toutes obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnées ou qui n’ont d’autre objet ou effet que le seul maintien artificiel de la vie… »
« II- Dans les cas prévus aux articles L.1111-4 et L1111-13, lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut décider de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés sans avoir préalablement mis en œuvre la procédure collégiale suivante…. »
La procédure collégiale tient compte des avis de plusieurs médecins et de la famille et/ou des proches.
Cette collégialité qui peut être gage d’une décision réfléchie et raisonnée est critiquée par certains médecins qui considèrent qu’il n’appartient pas à la famille de porter la culpabilité d’une décision notamment d’arrêter les soins
C’est précisément au terme de cette procédure collégiale qui associait l’épouse de Monsieur Vincent LAMBERT, qu’il a été décidé d’interrompre l’alimentation de M. Lambert et de réduire son hydratation à 500 ml par jour.
Cependant, le juge des référés du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, saisi par les parents, un demi-frère et une sœur de M. Lambert, par ordonnance rendue le 9 mai 2013 enjoignait au centre hospitalier universitaire de Reims de rétablir l’alimentation et l’hydratation normales de M. Lambert et de lui prodiguer les soins nécessaires à son état de santé,
La procédure collégiale était alors relancée par l’équipe médicale et deux conseils de famille se tenaient les 27 septembre et 16 novembre 2013.
Le 11 janvier 2014, le chef du service où est accueilli M. Lambert faisait part à nouveau de sa décision d’interrompre les soins de nutrition et d’hydratation artificielles à compter du 14 janvier 2014.
Le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, était de nouveau saisi le 13 janvier 2014 par les parents de M. Vincent Lambert, ainsi que l’une de ses sœurs et un demi-frère d’un recours dirigé contre la décision prise par l’équipe médicale du Centre Hospitalier de Reims.
Ce tribunal administratif rendait sa décision qui était soumise à la censure du Conseil d’Etat.
Deux points essentiels du jugement confirmés par l’arrêt du CE du 13 février 2014 sont à retenir :
les dispositions du code de la santé publique issues de la loi du 22 avril 2005 relatives à l’arrêt de traitement en cas d’obstination déraisonnable s’appliquent que le patient soit ou non en fin de vie et peuvent donc concerner l’état dit pauci-relationnel dans lequel se trouve M. Vincent Lambert.
L’alimentation et l’hydratation artificielles de M. Vincent Lambert constituent un traitement au sens de cette loi. Cette position prend en compte les conclusions de l’étude adoptée par l’assemblée générale plénière du Conseil d’Etat du 9 avril 2009, ainsi que l’avis n° 87/2005 du Comité consultatif national d’éthique, du rapport de M. Léonetti devant l’assemblée nationale (« Comme l’ont montré les travaux de la mission d’information, l’alimentation artificielle est en effet aujourd’hui considérée comme un traitement par des médecins, des théologiens et par plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe… »),
Le Conseil d’Etat n’a pas pour le moment suivi le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui a jugé que la poursuite du traitement n’était ni inutile, ni disproportionnée et n’avait pas pour objectif le seul maintien artificiel de la vie et a donc suspendu la décision d’interrompre le traitement.
Par sa décision rendue vendredi 14 février, le Conseil d’État a préféré ordonner une expertise médicale en raison du fait que les éléments médicaux figurant au dossier qui lui était soumis ne lui fournissaient pas, notamment en raison de l’ancienneté de certains documents et d’indications médicales contradictoires une information suffisamment complète pour lui permettre de statuer sur le litige.
Le Conseil d’Etat retient qu’il appartient au juge de concilier les deux libertés fondamentales que sont le droit à la vie et celui de ne pas subir un traitement traduisant une obstination déraisonnable, obstination qui ne peut être apprécié par le juge qu’avec un éclairage sur la situation médicale du patient. Le juge doit s’assurer de ce que la décision médicale d’interrompre le traitement relève bien des hypothèses prévues par la loi.
L’expertise ordonnée par le Conseil d’Etat a été réalisée par un collège de trois médecins spécialistes de neurosciences et portait sur l’état clinique actuel de M. Vincent Lambert, le caractère irréversible des lésions cérébrales dont il souffre, le pronostic clinique, le point de savoir s’il est en mesure de communiquer, de quelque manière que ce soit, avec son entourage et sur l’existence éventuelle de signes manifestant une volonté d’interruption ou au contraire de prolongation du traitement qui le maintien en vie.
Le 20 juin prochain, le Conseil d’Etat, réuni pour l'occasion dans sa plus haute formation de jugement, l'assemblée du contentieux (composée de 17 juges), aura cette fois en main pour se prononcer sur ce cas très sensible les conclusions des trois experts médicaux qui ont remis fin mai leur rapport au terme duquel ils auraient relevé des lésions cérébrales irréversibles et notamment une "dégradation" de l'état de conscience et de l'état général de Vincent Lambert.
Reste à attendre le délibéré. Reste à savoir ensuite si cette décision mettra enfin un terme à un combat judiciaire entre les membres d’une même famille qui s’oppose sur les limites à donner à l’accompagnement médical de leur parent proche.
En tout état de cause, si le cas « Vincent Lambert » trouve solution, on peut imaginer que le débat est loin d’être terminé sur la pertinence ou non de l’évolution de notre législation sur « la fin de vie » voir sur l’ « euthanasie active.»
Maître Valérie DESPLANQUES, Avocat à la Cour, Ancien Avoué,
SCP DESPLANQUES & DEVAUCHELLE
Cabinet d’Avocat
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tel. 02 38 53 55 77 / fax. 02 38 53 57 27
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